C’est à un double voyage que nous invite ce livre : un voyage au cœur des États-Unis des années 60, au cœur de l’Amérique de Mohamed Ali.
J’ai embarqué sans rien savoir ou presque du boxer, de la star, du militant (mais peut-on parler de militant ? c’est plus complexe que ça…). Sans rien savoir du symbole, des symboles rattachés au champion star des poids lourds, celui qui affirmait sans cesse qu’il était beau et défiait ses adversaires à coup de (mauvaise) poésie.
Judith Perrignon est journaliste. Elle est partie là-bas pour de vrai, rencontrer ceux qui l’avaient connu, revoir les lieux de son enfance, de ses premiers combats, essayer de comprendre ce personnage aux milles facettes. Elle en a tiré une émission de radio, La Grande Traversée : Mohamed Ali, et un livre. Double voyage donc, puisqu’on peut choisir de lire ou d’écouter.
J’ai choisi les deux.
J’ai commencé par le livre. À l’époque, je ne connaissais rien ou presque à la vie de Mohamed Ali, pas même son véritable nom : Cassius Clay. J’ai été happée dès le départ par l’incroyable anecdote racontée à Judith Perrignon par le journaliste Robert Lipsyte, devant la table de sa salle à manger où une figurine de Mohamed Ali est posée dans un vase, avec en fond sonore la pluie qui tombe dehors.
Et c’est tout un monde qui s’est déployé devant moi : l’Amérique de la ségrégation, le Vietnam, les Black Muslims, la boxe sport roi, le succès et l’argent facile, les Beatles et Simone Signoret. Mais aussi l’Afrique, les dictateurs, les compromissions, ou plutôt les dizaines de contradictions qui n’ont jamais arrêté Mohamed Ali. Lui qui voulait être grand, le plus grand.
Parfois, j’avoue, j’ai eu un peu de mal à suivre. Qui était ce journaliste, déjà ? Et ce militant Black Muslim, c’était quoi son lien avec Mohamed Ali, au fait ?
Et puis, petit à petit, les choses se sont mises en place.
Une fois au bout, j’ai eu envie d’écouter la version audio, comme un pendant du livre papier. Émotion de découvrir les voix, les musiques, les ambiances… C’était un deuxième voyage, qui racontait la même chose que le premier mais en empruntant d’autres pistes, de manière très complémentaire.
Pour écouter l’émission, j’ai téléchargé l’application Radiofrance sur mon téléphone : une mine inépuisable de contenus variés, intéressants, du feuilleton du Mystère de la Chambre jaune au concert de Lhassa à Reykjavik.
Pour revenir à La Grande Traversée, j’ai fini mon écoute avec un petit pincement au cœur, une certaine mélancolie. Ce monde que Judith Perrignon nous a raconté, il ne reviendra pas – et en même temps, on en perçoit les traces encore aujourd’hui.
Mais aussi ce sentiment doux-amer que si Mohamed Ali est devenu un symbole, c’était surtout pour avoir été utilisé par d’autres, pour avoir permis à chacun de projeter sur lui ce qu’il cherchait. Parce que cette immense star était aussi ce gamin qui savait à peine lire, qui ne savait pas dire non, et qui a choisi de se détruire dans son art jusqu’au point de non retour.
Quelqu’un que finalement, personne n’a trop compris.
Ou plutôt, comme si tout le monde était tellement intéressé par le symbole que la personne qui était à l’intérieur était devenue secondaire.
Et, autour de lui, toute la question noire. Elle le frappe très tôt, quand il rentre à Louisville où il a grandi après avoir gagné la médaille olympique. Il a gagné l’or pour son pays et on lui refuse toujours l’entrée à certains lieux – parce qu’il est noir. La question noire, c’est ce qui court en filigrane, une question complexe, qui mêle inégalité sociale, rôle de la religion, lien à l’Afrique…
Un livre très riche donc, pour toutes ces raisons. Et un très beau voyage…
PS : j’ai eu la chance que Grasset m’envoie ce livre – partenariat idéal qui me laisse totalement libre de donner mon avis… et toujours de belles découvertes!